Devient-on dépendant à la subvention ?

Version texte

Karl Ce n'est pas parce qu'une association est à but non lucratif qu'elle n'a pas besoin de financer ses activités et son fonctionnement. Les ressources propres des associations étant bien souvent limitées, celles ci se tournent alors vers des aides, des aides publiques, autrement dit des subventions. Aujourd'hui, ces subventions prennent une place conséquente dans le modèle économique associatif et on les accuse d'un certain nombre de mots des associations. Elles seraient coupables d'être utilisées pour orienter l'action associative dans le sens souhaité par le distributeur de la subvention, mais également de nécessiter trop de paperasse, de discussions, de négociations pour des montants toujours plus faibles, voire de créer une dépendance des associations qui en bénéficient et qui ne peuvent plus s'en passer. Alors, devient on accro? Devient on dépendant à la subvention?

Karl C'est la question que nous vous proposons d'aborder dans ce premier épisode de Questions d'Asso, le podcast par et pour les assos, en partenariat avec la MAIF. Pour parler de ce sujet des subventions associatives, nous avons le plaisir d'accueillir l'association Fable-Lab et sa représentante Domitille. Bonjour à toi.

Domitille Bonjour.

Karl Nous serons accompagnés dans cette discussion par Mathieu, de la coopérative d'expertise comptable et de conseil FinaCoop, dédiée à l'ESS et particulièrement aux asso. On évoquera avec toi le seuil de non lucrativité des associations, un sujet très lié à cette question de la subvention. Bonjour Mathieu.

Mathieu Salut à vous !

Karl Cet épisode de Questions d'Asso est réalisé par Guillaume Desjardins de Synchronie TV sur une musique de Sounds of Nowhere. Vous pouvez vous abonner à Questions d'Asso sur votre plateforme de podcasts préférés : sur Apple Music, Google Podcasts, mais également Spotify, Deezer et Soundcloud. Vous pouvez également écouter ce podcast directement sur notre site web www.questions-asso.com, où vous retrouverez une version textuelle de ce podcast. Nous sommes très heureux d'être avec vous pour ce premier épisode de Questions d'Asso. Installez vous confortablement. C'est parti !

Karl Et pour commencer, revenons avec Yaël sur les enjeux posés par la subvention. Salut Yaël

Yaël Merci Karl ! Bonjour à tous. Avant de parler « subvention », je te propose un petit détour pour regarder comment se financent les asso et comprendre les dynamiques à l’œuvre. Comme c’est le premier épisode, je vais prendre le temps de poser les choses, parce qu’on s’attaque à un gros morceau ! L’état des lieux que je vais présenter est une synthèse de la dernière édition de l’enquête périodique « Paysage associatif » du Centre d’économie de la Sorbonne (CES). Elle date de 2017-2018, c’est un peu vieux, le paysage associatif évolue très vite, surtout en ce moment avec tout le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Mais comme l’enquête est renouvelée tous les 6 ans, ça donne quand même une idée des grandes évolutions des modes de financement du secteur associatif – attention, ça pique un peu ! – et on se refera un point pour la prochaine édition en 2023-2024 !

Karl Ça marche, on t’écoute !

Yaël Alors, les financements sont pour l’essentiel de 4 types. On a : les cotisations, les dons, les recettes d’activité et les subventions publiques. Commençons. Un premier type de financement sont les recettes d’activité qui représentent une part majoritaire et croissante du budget des asso (c’était la moitié du budget total des asso en 2005 et on est passé au 2/3 en 2017). Les recettes d’activité peuvent être d’origine publique ou privée, elles regroupent : les commandes publiques (prestations à destination de collectivités publiques) ; les commandes privées (prestations à destination des entreprises) ; la participation des usagers aux services rendus par l’association (les ressources liées à une billetterie ou à la vente de services par exemple). Ce sont les ressources privées (ventes de services aux usagers ou à des entreprises) qui augmentent dans les plus fortes proportions et représentent +40% du budget total des associations en 2017. Ensuite, deuxième type de financement : les subventions publiques dont la part dans les budgets associatifs n’arrête pas de diminuer ; alors qu’elles représentaient la moitié des budgets associatifs en 2005, la part des subventions ne représente plus que 20% en 2017. Contrairement aux commandes publiques où les associations doivent réaliser des prestations, des actions formatées par les acteurs publics, les subventions publiques laissent théoriquement plus de liberté aux associations qui sont à l’initiative des actions financées, et peuvent développer des projets, innover, expérimenter de nouvelles actions…

Karl Ca pose un vrai sujet cette question de la proportionnalité recettes privés versus subvention publique, car ça montre que la majeure partie du paysage associatif français n’entre pas dans les critères de l’intérêt général dont on parlera dans un prochain épisode.

Yaël Oui, c’est exact ; Donc après les recettes d’activité et les sub. Troisième type de financement : les cotisations qui représentent en moyenne seulement 9% du budget total des asso. La part des cotisations dans les budgets associatifs tend à diminuer dans le temps : pour ne pas entraver les adhésions et l’accès aux services rendus, les associations ont tendance à augmenter la part de leurs ressources provenant des ventes aux usagers et à contenir le poids des cotisations. Et enfin, quatrième type de financement : les dons et mécénat qui sont une ressource assez limitée des associations. Ils ne représentent en moyenne que 5% des budgets associatifs ; même si ce sont des ressources qui peuvent être particulièrement importantes, voire déterminantes pour les asso humanitaires et militantes – on y reviendra dans un prochain épisode !

Karl Là, tu nous as présenté des moyennes, mais j’imagine que ça évolue en fonction des secteurs et des activités, non ?

Yaël Oui, bien sûr, tu as raison. Les équilibres varient selon les secteurs : médico-social ; sport, culture et loisir ; humanitaires et défense des droits ; éducation et formation ; etc. Mais ce qui me semble peut-être plus intéressant ici, c’est que les modes de financement varient également très fortement en fonction de la taille et de l’ancienneté des associations. La quasi-totalité des subventions publiques vont en réalité aux associations les plus anciennes, qui sont aussi les plus imposantes (on parle ici d’asso qui gèrent des budgets de plus de 500 000€ et les plus employeuses). En 2012, seulement 2% des associations percevaient des subventions annuelles supérieures à 100 000€ et cette concentration s’est accélérée dans les années qui suivent. En 2017, ces très grosses asso ne représentent plus que 1,3% du paysage associatif et concentrent à elles-seules 71% du budget cumulé des asso. Le corollaire est que les jeunes associations sont exclues du champ des subventions publiques ; elles accèdent très faiblement aux circuits de financements publics et aux subventions publiques. De même, les petites associations (qui ont un budget annuel inférieur à 10 000€ et qui représentent tout de même 75% des associations) reposent majoritairement sur des financements privés apportés par leurs membres (ventes aux usagers et cotisations) et du bénévolat. Et quand elles perçoivent des subventions, elles correspondent bien souvent (1) soit à des montants symboliques, inférieurs à 200€, (2) soit à des aides en nature des collectivités publiques (installations, locaux, équipements). Quant aux associations de taille moyenne, ce sont souvent des structures relativement jeunes qui vivent grâce au travail bénévole et à des montages complexes de ressources publiques mais surtout privées dans lesquels la participation des usagers a une part importante. Ces associations disposent rarement, du fait de leur taille, des compétences et moyens nécessaires pour répondre aux appels d’offre ou accéder aux circuits de commandes publiques... Donc c’est surtout dans ces structures que les subventions jouent un rôle essentiel de soutien des dépenses et de fonctionnement, ce qui est paradoxale, puisqu’elles y ont de moins en moins accès.

Karl De ce que tu dis, on a l’impression qu’il y a eu de grosses évolutions ces dernières avec une forte baisse des subventions, et une nette augmentation des recettes d’activité, tu peux nous refaire un rapide historique ?

Yaël Allez, c’est parti. En effet, le financement du secteur associatif a connu au cours des dernières années d’importantes évolutions, qu’on pourrait résumer ainsi : jusque dans les années 1980, on a eu une augmentation en volume des financements publics sous toutes ses formes ; ensuite on a un essoufflement jusqu’aux années 2000. La poursuite du mouvement de décentralisation contribue mécaniquement à une baisse de la part des financements de l’État et à une augmentation de celle des collectivités locales ; mais les financements publics et privés continuent à alimenter les budgets des asso dans des proportions équivalentes ; puis avec la crise de 2008-2009, c’est la dégringolade, l’accélération du retrait de l’État n’est plus compensée par les financements provenant des collectivités territoriales ; et on observe un triple phénomène : la concentration des subventions sur les très grosses associations dans la mesure où elles participent à des missions de service publique et qu’elles sont très fortement employeuses ; l’explosion de la commande publique qui a triplé de 2005 en 2012 et qui continue à augmenter ; la forte privatisation du financement du secteur.

Karl Donc ce qu’on constate assez clairement, c’est qu’au plan comptable, et on pourra en discuter avec Mathieu, on passe d’une situation où l’Etat participait au financement non-lucratif des associations à une situation où le financement de l’Etat est à but lucratif. Et ça, non seulement c’est carrément un changement de philosophie, mais en plus ça rend très compliqué le fait d’avoir une lucrativité non significative pour conserver son statut d’intérêt général.

Yaël Bien vu, et c’est dû pour une partie aux réglementations européennes et nationales qui sont de plus en plus contraignantes. Comme il n’y a pas de définitions légales de la subvention, le risque est croissant pour les acteurs publics de voir les subventions requalifier en commandes publiques par les services fiscaux. Donc ils ont tendance à sur-interpréter le cadre légal pour légitimer l’évolution de leurs modes d’intervention. Pour une autre partie, ce changement de philosophe est dû à la montée en charge des collectivités territoriales. Les régions et conseils régionaux ont tendance à préférer les financements du type commandes aux subventions : ça permet de formater les actions des asso en fonction des politiques locales, ça leur donne une meilleure visibilité… Pour le dire plus clairement, on assiste en réalité à un processus d’externalisation d’actions initialement produites dans un cadre public vers le secteur associatif (moins cher).

Karl Pour résumer : les associations se retrouvent dans un contexte de raréfaction des ressources publiques, elles se confrontent à un cadre juridique et fiscal de plus en plus contraignant… bon, j’imagine que ce n’est pas sans conséquence sur leur fonctionnement ?

Yaël Effectivement, ça a plusieurs conséquences. Premièrement, le paysage associatif tend à se structurer autour de deux pôles : avec d’un côté une augmentation croissante du nombre des micro-associations qui animent la vie locale et le quartier, mais qui ont un poids économique très limité ; et de l’autre une concentration du poids économique des très grosses associations qui ont absorbé une partie des activités des associations de tailles moyennes et aspirent désormais la quasi-totalité des financements publics. Les associations de taille intermédiaire continuent de baisser en nombre et en poids du fait de leur exclusion des circuits de financements publics et de la forte baisse des emplois salariés (les deux sont liés), ce qui limite la professionnalisation de leurs actions.

Karl Ce que tu dis me parle, car en tant que responsable d’une association de taille moyenne qui essaie de se professionnaliser, ça fait un peu froid dans le dos !

Yaël Deuxièmement, la privatisation croissante du financement des asso accroît la dépendance des associations au contexte économique local et amène les associations à « filtrer » leur public. Dans les territoires « riches » où l’activité économique est importante et le taux de chômage peu élevé, les collectivités locales ont davantage les moyens de soutenir le secteur associatif que dans les territoires « en déclin » (absence d’activité économique, vieillissement de la population) alors même que les associations y auraient un rôle plus important à jouer. Et avec les gel et annulation des crédits, délais de versement trop long, absence d’avance de paiement, etc. Les financements publics deviennent de plus en plus des facteurs de fragilité et de précarité pour les associations. Paradoxalement, ils sont bien moins stables que les financements privés (cotisations, recettes d’activité). On observe de ce fait un déplacement des projets associatifs vers des publics « solvables », susceptibles de participer financièrement au service qui leur est rendu par l’association (on parle ici des usagers, mais aussi des entreprises – ce qui pose pas mal de questions juridiques, on y reviendra avec Mathieu de FinaCoop !).

Karl Ce qui pose quand même question, car théoriquement, une association ne devrait pas attendre de ses bénéficiaires qu’ils puissent payer.

Yaël Troisièmement, cela a des conséquences sur les actions et projets associatifs développés. La transformation des subventions en commandes publiques a pour effet : d’instrumentaliser les associations en limitant leur rôle à celui d’exécutantes des politiques publiques ; et d’entraver leur capacité d’innovation sociale. Ce qui est assez préoccupant dans la mesure où cela constitue un obstacle au renouvellement de l’action associative, mais aussi au renouvellement des politiques publiques dont les évolutions s’inspirent traditionnellement des innovations du champ associatif. J’avais prévenu, ce n’est pas joli joli. Et c’est pour ça qu’on est très heureux d’avoir avec nous Domitille de l’association Fable-Lab pour incarner un peu ce panorama et voir comment ça se traduit dans le quotidien des asso.

Yaël Domitille, merci d’être avec nous pour parler de ce sujet de la subvention des associations. Fable-Lab, c’est donc une association d’éducation populaire que vous avez créée avec Léa il y a 4 années. On souhaitait aborder ce sujet de la subvention avec vous car vous avez une longue pratique des financements publics et que ça occupe aujourd’hui une place importante dans les discussions stratégiques que vous pouvez avoir au sein de Fable-Lab. Mais pour commencer, et pour que celles et ceux qui nous écoutent puissent en savoir un peu plus sur vous et vous situer dans le vaste monde des assos, nous vous proposons de dresser une carte d’identité de l’association à travers trois questions que nous répéterons à chacun des épisodes de Questions d’asso et pour commencer...

Domitille Rebonjour. Fabe-Lab, on dit que c'est un laboratoire d'expérimentation autour de la lecture, de l'écriture et de l'expression. On a créé cette association il y a 3 ans avec Léa et on a toujours été entouré par un petit groupe de passionnés autour de ces sujets. L'objectif, c'est de rendre ces pratiques (la lecture, l'écriture, l'expression) plus accessibles et d'en faire un vecteur d'émancipation pour les jeunes et les adultes. Concrètement, on a deux axes de travail, on va créer du contenu et des ressources pour rendre la lecture, l'écriture et l'expression accessibles et on va essayer de diffuser ces contenus et ressources, soit directement nous en animant des ateliers, soit en les transmettant à d'autres associations qui ont des sujets proches ou qui veulent s'emparer de ce qu'on a fait.

Yaël Dans ce cas là, ce sont les associations qui viennent vous voir ?

Domitille Oui, les deux : elles viennent nous voir, on les rencontre et on essaye de partager ce que l'on crée. Et ça rejoint notre sujet parce que vu qu'on va créer beaucoup de contenus et de ressources, on se demande si, autour de l'open source, il n'y aurait pas aussi une manière de sortir de cette question de la subvention en développant nos activités économiques.

Yaël Deuxième question, est-ce que tu peux nous dire comment vous vous organisez et qui composent votre association? Quels sont les différents collectifs à l'intérieur?

Domitille On est une association avec cinq personnes qui travaillent au quotidien, dont une salariée et quatre autres personnes qui sont régulièrement en freelance avec nous. L'objectif est de continuer à essayer de salarier de plus en plus de personnes, mais les questions de budget nous retiennent pour l'instant. Mais on doit avoir une deuxième personne salariée d'ici la fin de l'année. On a aussi un conseil d'administration avec des personnes actives. Donc, ce sont en partie des personnes qui ont participé à construire l'association, puis des personnes qui nous ont rejoints au fur et à mesure. Et le CA nous appuie sur les orientations stratégiques. Par exemple, choisir un nouveau projet, décider comment on peut penser les orientations stratégiques. Et en équipe, on va s'occuper des questions plus opérationnelles. Et donc, en fonction de chacun, de nos centres d'activité, on prend nos décisions collectivement, si on est impacté par les décisions à prendre.

Karl Vous avez des adhérents classiques ou pas du tout?

Domitille Pas beaucoup. Nos adhérents, ce sont plutôt les personnes qui veulent participer à notre action et pas les gens qui vont venir à nos ateliers. Ce sont les personnes qui veulent s'investir sur ce sujet de la lecture, de l'écriture, réfléchir à ce qu'on peut développer ces pratiques, mais pas les personnes qui viennent à nos ateliers, ni les associations qui veulent s'emparer de nos contenus.

Yaël Troisième question qui va tout de suite faire le lien avec le cœur de notre épisode aujourd'hui, est-ce que tu peux nous dire plus précisément comment vous êtes financés ? Et du coup, comment ça fonctionne ?

Domitille Alors c'est pas mal, parce que notre AG est demain, donc j'ai pu me replonger dans les chiffres. Donc en 2020, on avait 90.000 euros de budget. On était donc dans le secteur des moyennes associations. On était assez content, parce que ça fait une belle augmentation alors que c'était une année difficile. Et on a à peu près 65% de subventions publiques. Vingt% de dons d'entreprises, fondations d'entreprises et 15% de prestations. L'objectif est de continuer à augmenter cette part de prestation, d'autofinancement. Et réfléchir peut-être un peu plus à la question des dons aussi, de particuliers.

Karl Pour faire précisément la transition sur le sujet qui nous intéresse, celle de la dépendance à des subventions versus la question de devenir plus indépendant avec des prestations, est-ce que tu peux nous expliquer si l'équilibre que tu viens de décrire à l'instant, c'est quelque chose qui a toujours existé dans votre association ? Quand vous avez créé l'association, est-ce que vous aviez un modèle économique en tête qui était différent au départ ?

Domitille Bon, on est une jeune association, donc savoir quels sont les équilibres, c'est toujours un peu difficile. Nous, on a toujours su qu'on allait devoir toujours demander des subventions. On savait que c'était comme ça que ça marchait de nos précédentes expériences. En revanche, on a toujours voulu avoir de la prestation pour essayer de compenser certains défauts de la subvention. Par exemple, les délais de temporalité, finir les budgets qui ne sont jamais complètement couverts par la subvention, et aussi être plus indépendant. Et enfin, surtout quand on est dans des subventions un peu plus structurelles, quand on crée son association, il y a beaucoup de collectivités qui vont vous demander quel est votre modèle économique. Et donc, ça veut dire que derrière, est ce que vous avez des revenus ? Il ne faut pas que vous soyez dépendant à la subvention. Ce qui est toujours un peu étonnant quand on est une association, parce que voilà, on n'a pas le droit, si on en est d'intérêt général, d'avoir trop de revenus ou pas de n'importe quel revenu.

Karl Tu mentionnais à l'instant que de vos précédentes expériences, vous saviez que ça fonctionnait comme ça. Est-ce que tu peux nous dire, justement, vous travailliez avant dans des secteurs associatifs ?

Domitille Oui. Moi, par exemple, j'ai travaillé dans une entreprise avec un agrément ESUS, et dans une fondation. Et donc l'entreprise, c'était encore un peu différent, mais elle avait une fondation adossée. Et dans la fondation, ce n'était pas une fondation avec un fonds, elle allait chercher des financements supplémentaires. Et donc, j'ai participé à cette recherche de fonds. Et comme elle était beaucoup plus grosse, avec des problématiques encore différentes, on savait dans quoi on se jettait un peu.

Karl Vous aviez une idée, effectivement, de la façon dont ça pouvait fonctionner au sein du secteur associatif. Et est-ce qu'on peut dire qu'au départ, Fable-Lab, c'était une sorte de start up ESS, au sens où vous êtes freelances, professionnels au sein de l'association ? Ou l'idée est vraiment différente à la base ?

Domitille Alors, je pense que de l'extérieur, ça fait ça. Après, j'adorerais pas à cette image. En fait, il y avait des choses qui nous gênaient dans la manière dont ça pouvait marcher, dans nos précédentes expériences. Et donc, on voulait recommencer avec en essayant d'avoir un modèle qui nous plaisait, vraiment. Le modèle économique, mais aussi le modèle de fonctionnement, de prise de décision. Et en même temps, sur un sujet qui nous passionnait : la lecture, l'écriture, les mots, les langues. Et donc, c'est pour ça qu'on est parti et qu'on a voulu créer notre structure. Et j'espère qu'on a le côté agile des start ups, mais pas le côté prédateur des start ups. Ça marcherait beaucoup moins.

Yaël Et peut-être, c'est intéressant pour la carte d'identité. À un moment, tu disais que vous cherchez à salarier de plus en plus et finalement, ne pas forcément trop utiliser de ressources bénévoles. Comment tu expliques ce choix-là ?

Domitille Alors les ressources bénévoles, on les prend. Si les gens veulent s'investir dans le projet, bien sûr, venez, il y a de la place pour beaucoup de monde, on a plein de projets passionnants, vous trouverez à votre place. La question, c'est plus les ressources freelance, il y a des personnes pour qui ça marche bien et d'ailleurs des métiers où ça aide les gens. On a quelqu'un qui fait du graphisme chez nous. Je suis pas sûr que si je lui proposais d'être salarié demain elle accepterait. En tout cas, certainement pas à plein temps. Mais, tout le monde ne peut pas être freelance. C'est une certaine forme de précarité. Ça ne convient pas à tous les métiers et à toutes les personnes. Et puis, en plus, l'association ne pourra grandir que s'il y a un certain nombre de personnes qui s'y investissent complètement. Pour animer des ateliers, pour créer du contenu, il faut y consacrer du temps. Et pour que les gens puissent se consacrer sereinement, pour nous, il faut qu'on propose un emploi salarié aux gens qui le souhaitent.

Karl Pour revenir à la création de l'association, est-ce que tu pourrais nous expliquer comment est ce que se sont passés les premiers contrats, les premières subventions. Est-ce que vous êtes allés chercher ces subventions, ces prestations ? Comment ça s'est passé?

Domitille Alors que notre premier financement, c'était quand même une prestation. Toute petite, mais quand même une prestation. Souvent, pour les associations, il faut avoir un certain nombre d'années d'existence pour avoir le droit à des subventions. Donc, ça a été vraiment long de lancer la démarche, de trouver les bonnes portes d'entrée. Et en fait, on a eu une toute petite subvention publique au début. Et donc ce qui nous a permis de nous lancer, c'est plutôt des financements privés. Moi, je dis assez souvent subventions privées, donc faut que je fasse un peu attention, car je ne connaissais pas cette différence. Donc, les subventions publiques, elles ont mis un peu de temps à arriver. Quelque part, on a eu la chance parce qu'on a répondu un peu par hasard à un gros appel à projets du ministère de l'Intérieur, qui nous a donné une très grosse subvention au bout de un an et demi d'existence. Et ça nous a lancé. Mais ce n'était pas un financement renouvelable. Donc, il a fallu s'accrocher, mais on a réussi à retrouver notre équilibre. Mais voilà, on a mis du temps à trouver les bonnes portes d'entrée.

Karl Et donc, au départ, vous viviez principalement, si je comprends bien, plutôt de prestations privées ?

Domitille Alors on faisait quelque chose d'encore plus bizarre, on va dire. On travaillait à côté et en plus, on travaille sur l'association, et donc là plutôt bénévolement. Et on a réussi à commencer à se rémunérer en freelance au bout d'un bout de plusieurs mois, 18 mois / 2 ans je dirais.

Karl Et là encore, ça pose peut-être une question qui est pourquoi est-ce que vous avez spécifiquement choisi ce modèle associatif ? Et pas forcément de partir sur un modèle plus entrepreneurial ?

Domitille Il a quand même plein d'avantages le modèle associatif. Déjà, on pense que nos activités sont d'intérêt général. L'Association, elle, vient de manière assez évidente. C'est très simple aussi de créer une association. Il suffit juste d'être quelques uns. On est en rédige les statuts, on fait une assemblée générale et hop, on y va. Ca va vite. Et avec l'intérêt général vient aussi la possibilité de récupérer des dons. Accéder à certaines subventions, qu'elles soient publiques ou privées. Et en plus, il y a toute la manière dont fonctionne la prise de décision en association qui nous semble intéressante. On était deux à être porteuses du projet, même si on était entourés par un groupe de personnes intéressées. On ne voulait pas que l'association, ce soit nous deux. Même si on est peut-être un peu plus les visages, on n'est pas les seuls investis. Et donc, l'association, elle nous permet aussi d'avoir cet équilibre des pouvoirs en fonction des statuts qu'on peut avoir, et de la manière dont on laisse la place aux bénévoles ou à d'autres personnes qui entrent dans l'association.

Karl C'est un discours qui revient assez souvent d'ailleurs parmi les associations qui ont choisi vraiment ce modèle associatif ou alors qui décident de le conserver quand elles passent sur des modèles économiques et qui disent que finalement, ça permet aussi plus de démocratie, d'une certaine manière, que d'autres formes de gouvernance. Peut-être pour revenir sur les questions, justement, de subventions ou de modes de financement, parmi tous les financements publics que vous avez reçus, est-ce que vous les recevez tous sur le mode de l'appel d'offres ? Est-ce que vous avez eu des subventions de fonctionnement à un moment ? Finalement, est-ce que tu saurais dire quels différents types de financements vous avez pu avoir ? Et s'ils ont été utiles à un moment donné dans le développement de l'association ? Tu parlais justement de l'argent que vous avez reçu du ministère de l'Intérieur qui a permis votre développement, mais qui s'est arrêté à un moment donné. Comment est-ce qu'on gère le fait de continuer à avoir des revenus quand on a une subvention importante qui s'arrête et que l'on a passé beaucoup de temps à travailler dessus et qu'on n'a pas pu développer d'autres choses ? Comment est-ce que vous avez gérer ça?

Domitille Alors déjà, les types de subventions, la majorité sont des appels à projets ou appels d'offres. Très, très grande majorité. Quelques unes qui sont un peu plus de gré à gré. Où par exemple, la collectivité va vouloir vous financer, mais ça reste quand même une subvention publique. Et on en a très peu de fonctionnement. J'en ai une seule en tête et elle est due au COVID. C'était lié du plan de relance. C'est la seule que je vois, je pense qu'on n'a eu aucune autre subvention du fonctionnement.

Karl Ce qui veut dire que ce sont des revenus lucratifs et pas du tout des revenus d'intérêt général.

Domitille Oui, je pense. En face, on devait avoir du résultat.

Mathieu C'est vrai que dans le langage commun, on emploie subventions un peu à tort et à travers. Ça engloberait le privé et le public. Alors maintenant on a une définition juridique depuis 2014, depuis la loi ESS. Il s'agit uniquement des fonds d'origine publique. Et dès lors que se justifie un intérêt général, pas au sens fiscal des assos d'intérêt général, mais un intérêt pour la collectivité et les habitants de la collectivité. Et généralement, ça s'associe. Alors, soit c'est de gré à gré avec les collectivités et l'Etat. Soit c'est des appels à projets. Et quand on dit appels d'offres, c'est plutôt justement la commande publique, donc les marchés publics. Et là, on est dans la prestation. Donc, il y a des notions de contrepartie alors que dans les subventions, il y a une notion de liberté dans la conception et la mise en œuvre des projets. C'est ça la nuance.

Karl Donc, ce que tu dis, c'est que ça peut être plus subtil que juste une question de est-ce que ça vient d'une commande ou est-ce que c'est quelque chose qu'on est allé chercher nous-mêmes ?

Mathieu Exactement.

Karl C'est encore plus compliqué que ce qu'on pensait.

Mathieu Et tout ça, ça, je le dis aussi, ce n'est pas que par rigorisme juridique et comptable, mais ça permet aussi de rendre compte du modèle économique. Est-ce qu'on est plus ou moins dépendant des subventions, donc publiques, ou du mécénat, donc plutôt des fondations, des entreprises privées, ou des dons, là on est plutôt dans les particuliers ? Et ça donne aussi une vision statistique. Ça permet à des chercheurs, des chercheuses comme Viviane Tchernonog qui fait des très de recherche de rendre compte de ça aussi.

Yaël Super, merci pour cette clarification. Moi, j'avais vraiment une toute petite question : tu disais que vous avez 2-3 ans d'existence. Et pourtant, tu disais que vous avez quand même répondu à beaucoup d'appels à projets, de subventions, etc. Je veux juste savoir ce que je peux, juste me donner une idée d'un nombre pour qu'on se rende compte de l'effort que vous mettez dessus.

Domitille Alors oui, j'ai regardé il y a pas longtemps. Cet été, on fait un superbe projet qui est un parcours de lecture et d'écriture dans cinq villes en Seine-Saint-Denis. Ça va être magnifique. Et si vous vous baladez en Seine-Saint-Denis, il faut le faire. Pour ça, à l'origine, on pensait répondre à un gros appel à projet qui allait nous financer. C'était un appel à projets publics d'une collectivité territoriale. Finalement, ils nous ont dit : oui, on vous finance, mais pas tout. Mais par contre, on vous donne deux autres endroits auxquels répondre. Et donc on est retombé à deux autres endroits. Et puis après, comme ce n'était pas assez, et que d'ailleurs je n'ai toujours pas la réponse, j'ai répondu à trois autres appels à projets. Et donc pour un même projet, de l'ordre de 40.000 euros, j'en suis à au moins 6 appels à projets. Je n'ai pas toutes les réponses alors qu'il se lance maintenant. Voilà, donc ça donne un peu un ordre de grandeur. Ce n'est pas inhabituel en fait.

Karl Tu as dis que la majeure partie de ce que vous aviez comme contrats, ce sont des appels à projets. Est-ce que justement, ça représente aussi la majeure partie des revenus ? Est-ce que as un équilibre entre nombre de projets et proportionalité des revenus? Ou est-ce que la subvention de fonctionnement que vous avez pu avoir au moment de la crise du COVID, par exemple, elle peut être beaucoup plus importante que ces appels à projets, et donc compenser d'une certaine manière, le temps vous allez passer ?

Domitille Non, pas du tout. En fait, ce qu'on fait plutôt, c'est qu'on va essayer de plus en plus à bien mettre une ligne de coordination sur nos appels à projets pour essayer de faire prendre en compte ce temps. Mais c'est quelque chose qui est difficile à financer. Que ce soit auprès du public ou du privé. Personne n'a envie de financer cette coordination, cette recherche de financement comme personne veut financer la communication ou aller chercher des bénéficiaires. Ca fait partie des choses qui sont très dures à faire financer.

Karl Et finalement, est-ce que ce mode de financement vous a dicté votre mode d'organisation ? Est-ce que vous avez structuré l'association en fonction de ce que vous imaginiez être les financements et donc le fait que vous alliez répondre à des appels d'offres, des appels à projets, ou est-ce que c'est pas du tout lié? Est-ce que vous avez choisi d'être freelance parce que ça vous arrangeait ?

Domitille Il y a plusieurs choses. On a été freelances parce que ce n'est pas comme une entreprise, on ne pourrait investir à l'origine dans l'entreprise pour financer les postes et attendre qu'on devienne rentable pour autofinancer les postes. Donc là, déjà, on savait qu'on allait avoir un problème de décalage entre le moment où on aurait nos premiers revenus et celui on pourrait commencer à se payer. Est-ce que ça oriente ou pas le fonctionnement de l'association ? Forcément, va adapter nos projets soit sur le public, sur les thématiques, sur la temporalité de certaines actions. Ça, c'est sûr. En revanche, on n'a jamais créer des projets en fonction d'une subvention. Parce que c'est un équilibre trop dangereux, généralement, on se retrouve avec des projets qui coûtent extrêmement chers, qui sont trop loin de ce qu'on fait. Donc, on va plutôt mieux choisir nos subventions. Mais c'est sûr que si la subvention est pour des personnes bénéficiaires de la protection internationale, on fera un projet pour ce public là et pas un autre.

Karl Il y a un équilibre à trouver entre le fait de tordre l'idée de l'association et ce sur quoi vous travaillez à la base, vis-à-vis du fléchage des subventions ou des appels à projets que vous pouvez avoir au sein de l'association.

Domitille Exactement. En fait, c'est ça qui est difficile. La question des publics, c'est la plus dur d'un point de vue opérationnel parce qu'on ne voulait pas forcément faire quelque chose qui est dirigé vers un certain type de public. Mais je pense que c'est la première orientation en fait souvent des collectivités et des financeurs publics. C'est vers un certain type de public et c'est ça qui va peut-être le plus modifié le projet associatif.

Karl Et tu saurais dire qui, justement, chez ces acteurs publics, valide vos subventions. Qui a la main dessus ? Est-ce que c'est plutôt du personnel administratif? Est-ce que vous êtes en lien avec des élus?

Domitille Bah, on est plutôt en lien avec du personnel administratif. Je sais en revanche que si on était en lien avec certains élus, ce serait beaucoup plus facile d'obtenir certaines subventions. Mais on est peu-être moins doué pour cette partie là. C'est plutôt du personnel administratif de notre côté.

Karl Il y a bien une petite question d'actualité. Je ne sais pas si tu peux y répondre ou pas. On est en juste avant les élections départementales et régionales. Est-ce que ça a une influence sur les demandes de subvention que vous pouvez faire ou les appels à projets ? Ou alors ça n'a rien changé?

Domitille Alors, on a eu zéro financement des régions. On a du louper quelque chose. Encore une fois on n'a que 3 ans. Ca peut encore changer. Pour l'instant, pas grand-chose sur les départements. Mais on est surtout en Seine-Saint-Denis. Pour les élections municipales de l'année dernière, ça a ralenti certaines prises de décisions, tout simplement parce qu'il faut que soit voté en conseil municipal. Les prises de décision sont plus lentes. Mais nous, ça n'a pas changé fondamentalement notre fonctionnement. Peut-être parce qu'on est plus en lien avec les personnels administratifs qu'avec les élus.

Karl Tu parles de cette temporalité du déblocage du financement. Est-ce que tu peux revenir dessus ? Est-ce que c'est quelque chose qui est plutôt rapide ? Ou alors, justement, ça prend énormément de temps, il y a différentes échéances ? Est-ce qu'on vous donne l'argent d'un bloc, est-ce que c'est divisé en plein de petits paquets en fonction des rendus ? Comment est-ce que ça se passe ?

Domitille C'est très variable en fonction de à qui vous vous adressez. Dans l'ensemble, quand même, les collectivités territoriales vous donnent l'argent soit d'un bloc au début, soit en deux fois. Donc, c'est assez simple. En revanche, par exemple la CAF, ils nous donnent la notification de subvention pour l'année 2020 en décembre 2020. Ils vont vous payer en juin 2021. Ca c'est déjà un peu plus délicat. Je sais que, par exemple, le FSE, pour les très grosses structures, il y a 2 ans de retard. Donc il faut avoir une certaine assise pour pouvoir tenir la trésorerie de ce type de financement. Mais pour l'instant, comme on est sur des financements relativement locaux, on est payé dans les temps.

Karl Et ça, c'est quelque chose que tu observes aussi sur des financements privés ? À la fois temporalité, mais aussi facilité d'accès à la subvention, ou est-ce que ça se passe différemment quand ce sont des fondations privées, par exemple?

Domitille Non, c'est pareil. Souvent, les fondations privées payent en une seule fois, soit au début et à la fin. Donc, je trouve que ça reprend pas mal le principe des prestations. On a un acompte et onn vous paye la suite quand vous avez rendu le projet. Plutôt que la temporalité, c'est plutôt dans le décalage entre le moment où l'appel à projets sort et le moment où vous avez la notification que vous êtes sélectionnés et enfin, le moment vous êtes payés. Et tout ça en plus, il faut que le projet n'ai pas encore eu lieu ou soit juste lancé. Donc, c'est plus là où il va falloir jouer l'équilibre d'avoir en tête quand sortent les appels à projets pour savoir si vous allez pouvoir bien compter sur ce type de subvention ou pas. Les subventions privées, et souvent publiques aussi, ne veulent pas financer des projets déjà lancés ou en tout cas au moins qui soit fini ou en passe d'être fini.

Yaël Ce que je propose, c'est de passer à la deuxième partie. Justement pour faire un peu le bilan et prend un peu de recul sur vos expériences de subventions. Et il y a peut-être deux premières questions qui me viennent en tête. La première, c'est : est-ce qu'il y a un suivi ? Est-ce que les collectivités ou les personnes qui vous financent regardent ce que vous faites ? Et quelles relations vous avez à partir de là ?

Domitille Il y a un suivi qui est très variabls en fonction des collectivités et des gens. C'est vraiment assez personnel. Est-ce que les gens vont venir assister à ce que vous faites et ce qu'ils se contentent de lire le rapport que vous envoyez ? En fait, on a toujours des bilans à faire. Mais, je n'ai jamais eu de contrôle des bilans qu'on a fait.

Mathieu C'est parce que vous n'avez pas eu de financements régionaux ni européen encore.

Domitille Ça ne saurait que nous attendre.

Mathieu Ce que je vous souhaite !

Domitille Cette question des bilans, on pourrait parler de la multiplication des bilans. Dès qu'on a six sources de financement différentes, on a six bilans différents à envoyer. Mais le contrôle, il est de personne à personne plutôt, au delà de la question des bilans.

Yaël Tu prenais l'exemple tout à l'heure du projet que vous avez : vous êtes allés chercher des financements, mais comme on le disait tout à l'heure, ce sont des financements, généralement des appels à projets, qui sont quand même bien délimités sur un champ précis. Est-ce que tu peux nous redire un peu comment est-ce que vous est venu votre idée de projet ? Et comment est-ce que les subventions et les différentes injonctions que vous avez eu quand vous répondez à une subvention ou à une autre, ont modifié votre projet ou pas ? Et dernière question, à quel moment, vous avez encore un peu de marge de manœuvre et si possible, peut-être détourné des subventions ? Faut pas le dire !

Mathieu Faire du surfinancement des dépenses, c'est ça...

Domitille Je peux rester sur ce projet. C'est ce qu'il y a de plus simple. C'est un parcours de lecture et d'écriture.

Yaël Tu peux peut-être le décrire un peu pour nous donner un peu une idée concrète de ce que c'est.

Domitille Concrètement, on va proposer aux gens de se promener dans leur ville en suivant un parcours avec des petites boites dans lesquelles ils trouveront un morceau d'histoire et d'autres surprises, des invitations à poursuivre, à écrire l'histoire soit directement sur le carnet, soit en nous envoyant leurs histoires. Et il y a plusieurs parcours sur cinq villes de Seine-Saint-Denis qui sont toutes mitoyennes. L'idée nous est venue l'année dernière au milieu du premier confinement parce qu'on devait animer des ateliers d'écriture et on savait qu'on n'y arriverait probablement pas. Et on s'est demandé comment on pouvait continuer à proposer une activité culturelle qui recréer du lien malgré le fait qu'on n'est pas sûr de pouvoir refaire des ateliers ? On s'est dit qu'on allait délocaliser : on va se mettre dans la ville et on va proposer aux gens de le faire soi seul ou en groupe. Donc, cette année, ça a très bien marché, il faut qu'on recommence en proposant aux gens de poursuivre cette activité et cette fois, d'animer un peu plus des ateliers autour du parcours. On s'est appuyé sur un financement répétitif, qui revient, qui sont les contrats de ville. On savait qu'on rentrait dedans car on est en quartier politique de la ville, et toutes les villes sur lesquelles on voulait aller travailler ont accès à ce type de financement. Et donc, on n'a pas eu besoin de beaucoup bouger le projet, c'est plutôt que les contrats de ville sont très attentifs au fait que vous créez du lien avec le territoire sur lequel vous vous voulez mener votre projet. Donc sur chaque territoire, on a dû faire un immense travail en amont, d'aller contacter les associations locales, donc les petites associations dont tu parles ou les centres sociaux, pour leur vendre le projet et leur demander s'ils voulaient le faire avec nous. Et après, on va chercher les financements. La déception, c'est qu'on a eu moins d'argent que prévu sur ça, parce qu'il y a eu beaucoup plus de demandes. Ils nous ont renvoyés vers d'autres guichets, mais aussi de politique de la ville. On attend encore nos réponses, mais là, on ne touche plus au projet. Je suis prête à le bouger en fonction des demandes des acteurs locaux, faire des ateliers plutôt en direction de jeunes ou en direction de personnes en train d'apprendre le français. Mais on ne va pas toucher la structure du projet en termes de types d'ateliers qu'on va donner, de nombre d'étapes, du parcours, etc. Ou d'objectif final, surtout, du projet.

Karl Tu penses que ça va brider la diffusion de ce projet dans d'autres territoires où, finalement, les territoires suivront? Ils accepterons ce que vous avez déjà défini.

Domitille En fait, de toute manière, on a dû brider la taille du projet. On a dû brider le nombre d'ateliers qu'on ferait, le nombre d'étapes du parcours. Aujourd'hui, c'est ça qui est un peu frustrant. C'est qu'on a dû réduire la taille du projet. Mais les territoires nous ont suivis. Ce qui est un peu un défaut, c'est que tu vas répondre avec un budget en demandant ainsi une certaine subvention, on va t'en donner moins, mais il y a jamais vraiment de la négociation pour dire que finalement, on fait quoi avec ce moins ? Et donc, le sous-entendu, c'est "allez chercher ailleurs". On aimerait faire aussi de ce projet un exemple de comment on peut proposer des ateliers d'écriture et de lecture vraiment différents et plus participatifs. Donc on investit dedans et j'espère que, d'une certaine manière, on aura un retour sur investissement pour développer le projet l'année prochaine sur ce territoire ou dans d'autres.

Karl Ce "allez chercher ailleurs", il fonctionne parfois ?

Domitille Oui, il fonctionne parfois. Mais le souci, c'est la temporalité. C'est que j'attends encore des réponses. Mais mon projet, il est maintenant, je veux savoir !

Yaël Dans ce que tu dis, on entend bien le fait que c'est quand même vous qui gérez cette stabilité ou qui prenez sur vous pour les financements que vous n'avez pas. Et du coup, ça vous précarise énormément.

Domitille C'est ça, ce n'est pas très serein comme manière de fonctionner.

Yaël Du coup, ça rejoint aussi la question que tu avais sur les salariés au tout début. Tu nous as dit qu'aujourd'hui, vous aviez 5 salariés ?

Domitille On a 5 personnes qui travaillent régulièrement sur l'association, mais qu'une seule personne qui est salariée. Et on veut continuer à salarier les gens.

Yaël Et peut-être pour nous donner un peu une idée, la personne salariée fait quel type d'activité ?

Domitille C'est une personne qui s'occupe de toute la partie d'édition de contenu, que ce soit au niveau print ou web. Donc pas du tout un poste de coordination et même, pour être plus précis, c'est quelqu'un qui est en emplois aidés. Donc on a quand même pas mal d'aide en faite sur les charges salariales.

Yaël Et du coup, c'était un choix stratégique ou ça s'est fait un peu comme ça ?

Domitille C'était un choix plutôt de : quelle personne ne pouvait pas travailler en freelance ? Ce n'est pas très stratégique, mais en fait, les personnes qui font la coordination, on n'avait pas forcément besoin de se sécuriser tout de suite.

Yaël Mais en fait, c'est stratégique. Peut-être pas pour le projet de l'association, mais c'est stratégique pour le ...

Domitille Le collectif de personnes.

Yaël Pour le bien être et la sécurité socio-économique des personnes autour du projet.

Karl Est-ce que finalement, les subventions que vous tirez, vous arrivez facilement à les faire renouveler ? Alors, tout à l'heure, tu disais que ce n'était pas le cas pour celle du ministère de l'Intérieur que vous aviez reçue. Mais il y a souvent cette idée qu'au bout d'un moment, il faut que les subventions s'arrêtent. En tout cas, à chaque fois qu'on discute avec des acteurs publiques, il y a quand même cette idée que "comptez pas sur le fait que la subvention va rester sur le temps long". Comment est-ce que vous gérez ces aspects-là, justement? Est-ce que vous le ressentez ? Et si oui, comment est-ce que vous gérez ?

Domitille On n'a jamais conventionné pour plus d'un an. Donc, on sait qu'il faut qu'on aille toujours en chercher d'autres. Comment on gère ? Ca va être notre grand chantier des prochaines années, de ces deux prochaines années. Probablement, on ne pourra jamais se passer des subventions, sauf si elles disparaissent complètement. Mais comment est-ce qu'on peut un peu plus tirer vers notre autofinancement ? Sur quoi on peut s'appuyer pour se financer? Donc, nous, comme on crée du contenu, on se pose la question de l'open source et des revenus d'activité qu'on peut tirer de l'open source. Donc, voilà, c'est vraiment notre chantier de réflexion pour essayer de stabiliser le modèle économique de l'association, avec comme difficultés que nos premiers clients, c'est plutôt d'autres structures associatives ou chantiers d'insertion. Et donc qui sont elles mêmes dépendantes des subventions. Donc, voilà toutes les réflexions. C'est ouvert. On y réfléchit.

Karl Avant d'aborder cette question, à savoir comment est-ce que vous passez sur des modes de financement propres, on peut passer à cette question d'expert qu'on va poser à Matthieu, puisqu'on en est précisément à parler de l'équilibre entre subventions et prestations. Et donc, voilà, on va passer à la question d'expert.

Karl Et donc, on se retrouve avec Mathieu de FinaCoop, coopérative d'expertise comptable et juridique spécialisée dans ces questions, justement sur l'ESS et sur le monde des associations, pour parler d'un point assez précis, mais qui, finalement, est quand même vachement important sur ces questions de subventions versus prestations, qui est la question du seuil fiscal de non lucrativité. Alors, question simple pour commencer, Mathieu, qu'est-ce que c'est la lucrativité au sens d'une asso ?

Mathieu La lucrativité, c'est plus complexe que ce qu'on imagine. Je parlais des subventions. Là, on pourrait dire aussi plein de choses, parce qu'il a les subventions d'exploitation, d'investissement. En fait, il y a plein de types de subventions. La lucrativité, il y a au moins deux définitions : une définition juridique. Dans l'objet même d'une association au sens de la loi 1901, on dit qu'on se réunit pour mener des activités dans un but autre que réaliser des bénéfices pour ses membres. C'est vraiment ça l'idée, c'est qu'on fait autre chose qu'à aller chercher du bénéfice. C'est là où la ligne de fracture avec des sociétés. On parlait des entreprises, mais on va dire des sociétés, parce qu'entreprise, ça peut inclure potentiellement les associations si on a une activité économique. Donc les sociétés, c'est dans un but de rechercher des bénéfices. C'est ça la différence. Ça, ça veut dire quoi? Ça veut dire gestion désintéressée des membres de l'association qui doivent être non rémunérés ou peu rémunérés, et absence de distribution des bénéfices et de réserve pour les membres de ce qu'on appelle l'actif si jamais l'association disparaît. C'est la définition juridique qui fait lien avec la deuxième définition, qui est une définition fiscale où là, on parle d'asso fiscalement lucrative ou non. Et ça va déterminer si on va payer des impôts commerciaux ou non, sachant que une association est présumée être non lucrative, donc ne pas payer d'impôts. Pour autant, on va regarder réellement au quotidien si elle respecte tous les critères. Donc, les impôts commerciaux, c'est quoi, est-ce que vous les connaissez ici ?

Karl L'impôt sur les sociétés ?

Mathieu L'IS oui.

Domitille La TVA.

Mathieu TVA. Et les moins connus, c'est la taxe d'apprentissage sur les salaires bruts et aussi la contribution économique territoriale de la CET, qui englobe la CFE et la CVAM.

Karl Ca devient compliqué, ça va rester des assos non lucratives !

Mathieu On parlait de taxe professionnelle avant pour les plus anciens. Pour ça, la non lucrativité au sens fiscal, on regardait ce que je disais tout à l'heure, les premiers critères de gestion désintéressée, etc. On va regarder si l'association n'a pas trop de liens privilégiés avec des sociétés ou des structures, même associatives, qui payeraient de l'impôt. Donc, on parle d'absence de liens privilégiés. Et on va regarder si les activités menées par l'association sont concurrentielles avec le marché. Et alors là, c'est une analyse assez fine, un peu comme une étude de marché qu'on doit faire, à savoir les fameux 4P. Donc, on va regarder si le prix, le public, le produit et la publicité sont différents vis-à-vis des concurrents. Je vous donne un exemple : demain, si j'organise une balade pour faire découvrir des livres ou autre chose dans la ville, on va regarder s'il y a des concurrents qui proposent la même chose ou pas. Si non, bon, tant mieux, on est hors champ concurrentiel. Et si oui, on va regarder si on exerce l'activité dans des conditions différentes que des structures lucratives. Donc, est-ce que le prix, par exemple, est de 30% inférieur au prix du marché ? Est-ce que le public visé, c'est plutôt les personnes exclues par le marché ? Est-ce qu'on fait de la pub ou pas ? Ça, c'est une étude.

Karl Mine de rien, on pourrait se dire qu'on mène une action de la même manière qu'une entreprise privée classique, mais pour des finalités qui sont différentes, qu'on redistribue pas les bénéfices, etc. Donc finalement...

Mathieu Oui, mais ça ne suffit pas. Mais on pourrait dire ça. Mais le fisc regarde si potentiellement, ça peut être de la concurrence déloyale, parce qu'une asso pourrait faire la même chose sans TVA, alors qu'un commerçant est soumis à la TVA.

Karl J'imagine qu'en plus, il y a certaines formes - alors je ne dis pas ça de manière anodine, parce que c'est un exemple qu'on vit dans l'asso dans laquelle je suis - mais par exemple, la différence entre un mécène et un sponsor. Concrètement, c'est quasiment pareil. C'est souvent qu'une variation sémantique. Et pourtant, il y en a un qui est de l'ordre du revenu non lucratif et l'autre qui est du revenu lucratif. Des fois, c'est quand même très fin et flou, les limites ?

Mathieu Oui, on va regarder vraiment dans le détail, alors maintenant qu'il y a une trentaine d'années de pratique et de doctrine fiscale, on sait plutôt bien mettre la limite. Mais des fois, on ne sait pas toujours et on se réunit à plusieurs cerveaux d'avocats, juristes, experts comptables et porteurs de projets pour jauger le risque. Mais sur le mécénat et sponsoring, pour le coup, c'est assez bien défini. On va regarder précisément le niveau de contrepartie. Si jamais on offre une contrepartie. Normalement, on peut offrir des contreparties quand on reçoit du don ou du mécénat. Il faut qu'il soit soit morale (dire merci ou un usage spécifique de la contribution), soit matérielle, mais symbolique. Donc, il faut qu'il y ait une disproportion très nette. Un exemple? Je lance une campagne de crowdfunding, il faut que la valeur de ma contrepartie soit inférieure à 25% de la contribution de départ. Dans le cas du sponsoring, on va évaluer plutôt sur la taille du logo du mécène ou la récurrence, nombre de fois où c'est communiqué. Donc il y a plein d'exemples qui sont dans le bulletin officiel, le BOFIP.

Karl Et du coup, disons que maintenant, on a des revenus lucratifs : on va se poser la question à partir de quand, à partir de quel montant, de quelle proportion, on n'est plus non lucratif ? On dit souvent 30%.

Mathieu Moi, j'essaie de schématiser en trois. Il y a trois scénarios possibles. Je suis une association qui a des activités lucratives, donc concurrentielles, accessoires et inférieures à 72 000 euros par an. Là, je suis totalement non lucrative, donc je ne paie aucun impôt. L'accessoire, on peut s'y attarder. C'est comme tu dis, à peu près 30% ou un tiers des activités globales. Je pourrais même aller un peu plus dans le détail, donc on peut l'apprécier soit en termes de ressources économiques, soit en termes de moyens utilisés. Donc, ça fait le lien avec le prochain podcast sur le bénévolat. On pourrait gonfler l'activité non lucrative en valorisant aussi le bénévolat tout en respectant la réalité du bénévolat. Et donc, on regardera aussi les contributions en nature. Si jamais il y a la mise à disposition de locaux ou autre chose, tout ce qu'on peut valoriser pour gonfler la partie non lucrative sera utile. Donc ça, c'est le premier cas.

Karl C'est quand même un peu capilotracté quand même...

Mathieu Toujours dans la sincérité des comptes. Ensuite, on a le deuxième cas où les activités lucratives restent toujours accessoires en dessous d'un tiers, mais dépasseraient 72 000€ par an. Là, on est dans le cas de la sectorisation, c'est-à-dire qu'on va payer des impôts uniquement sur les activités lucratives. Donc, on va sectorisation, on va faire une comptabilité que pour les activités lucratives. Donc, on va faire une comptabilité analytique, concrètement, une lucrative et une non lucrative. Et le troisième cas, c'est quoi ?

Karl C'est qu'on est lucratif.

Mathieu Oui, quand on a des activités lucratives qui dépassent 33%, donc elles ne sont plus accessoires. Et là, c'est imposition globale de l'association. Et pour éviter ça, ce qu'on préconise, c'est une filialisation. On crée une société coopérative ou commerciale ou une association, même fiscalisé, à côté, pour isoler les activités lucratives. Et parfois, on va même le faire dans le cas numéro 2 pour éviter la sectorisation. Si on ne veut pas s'embêter à payer sur la partie lucrative.

Karl Mais le fait de filialiser les structures juridiques qui auraient les revenus lucratifs, finalement, elle va reverser ces bénéfices j'imagine à la première structure. Donc, ça reste des revenus lucratifs. Est-ce que ça change vraiment quelque chose à la fin ?

Mathieu Oui, car on va reverser qu'une partie, à savoir les éventuels dividendes qui seront des ressources lucratives, mais ça ne sera pas à hauteur du chiffre d'affaires sera beaucoup moins important.

Karl On a l'impression que c'est souvent des montages extrêmement complexes, on voit plein d'assos autour de nous qui effectivement, ont une structure non lucrative, une structure lucrative, des fois plein d'autres trucs à droite et à gauche, c'est hyper compliqué à comprendre. On sait jamais trop où donner de la tête. Jamais, même si c'est une bonne idée de faire ça. Est-ce qu'il faut juste accepter que l'on soit lucratif ? Point barre.

Mathieu Alors, je te dirais oui si on veut se simplifier la vie. C'est toujours mieux de garder une seule structure. Ensuite, si on veut maximiser le type de ressources - et là on revient au sujet de dépendance à la subvention, ou dépendant du mécénat, etc. Ça pose la question, finalement, de l'hybridation. La diversification des ressources pour éviter d'être dépendante d'une seule catégorie de ressources. Et malheureusement, on ne peut pas cumuler toujours tous les avantages. Des fois, c'est un peu serpent qui se mord la queue. Il y a moins de subventions, donc il faut plus de ressources privées. Des fois, tu vas faire plus de ventes, tu ne peux pas toujours être sûr d'avoir l'intérêt général, etc. Donc là, tu peux arriver à des situations à devoir fiscalisée, ce n'est pas toujours préférable parce que ça t'empêche, par exemple d'avoir du mécénat, ça peut être problématique. Donc après, on peut aussi devenir lucratif et s'appuyer sur une autre association ou un fonds de dotation, une fondation pour mener nos activités d'intérêt général. Ça peut aussi permettre de renouveler des partenariats, recréer des partenariats avec d'autres structures.

Karl Et une dernière question, pour finir, cette question du seuil du lucrativité, j'ai l'impression qu'elle revient tout le temps. Est-ce que toi, parmi les assos que tu peux rencontrer à travers Finacoop, c'est quelque chose qui est justement très systématique ? Est-ce que c'est juste un problème que Yaël et moi on se pose depuis 4 ans sans arriver à le résoudre ? Est-ce que c'est quelque chose qui est vraiment un vrai problème de toutes les assos? Et j'ai d'autant plus le sentiment qu'en fait, on nous pousse - et c'est ce que tu disais un peu, Domitille, tout à l'heure - à aller finalement de plus en plus vers des revenus lucratifs quand on a des subventions parce qu'on nous dit "ah oui, il ne faut pas que vous soyez dépendants aux subventions". Et donc, finalement, on a ce besoin de garder cet équilibre 30%, 70%. Est-ce que c'est quelque chose que tu constate au quotidien ou pas ?

Mathieu Oui. Nous, on a des concrétement des juristes qui ne font que ça. Il y a deux niveaux : évaluation / audit de la non lucrativité et de l'intérêt général, parce qu'on n'en a pas parlé mais il y a d'autres étages dans la fusée. C'est comme un peu comme ESS et ESUS. C'est une proportionnalité des avantages par rapport aux engagements. La base, c'est non lucrativité. Ensuite, pour arriver à l'intérêt général, c'est les mêmes critères que la non lucrativité. Mais à ça, s'ajoute une contrainte qui est de devoir respecterune liste d'activités éligibles. Pour raisonner à l'inverse, il y a des activités qui ne sont pas éligibles. Par exemple, si je suis non-lucratif, mais que je fais du plaidoyer. Là, c'est considéré comme trop indirect en termes d'intérêt général, donc le fisc refuse aussi. Je fais de la recherche fondamentale, par exemple. C'est le genre de mot-clé qu'il ne faut pas mettre sur le site Web ni dans les statuts, ni dans la demande. On va être vigilant par rapport à ça. Et après en termes d'opportunités de faire le rescrit, le fameux rescrit fiscal ou pas, on vous conseille dans 90% des cas de ne pas le faire. Pourquoi ? Parce qu'il y a des directives de Bercy de dire non, dès qu'il y a le moindre doute sur est-ce qu'on est non lucratif ou d'intérêt général. Donc on préfère dire aux structures : faites votre autodiagnostic, on vous aide à le faire et on va même jusqu'à produire une attestation s'il y a un financeur qui demande le fameux. On dit "vous savez comme nous, c'est une hypocrisie, très peu structurant ont ce rescrit". Soit c'est une attestation du président, de la présidente, soit s'il y a besoin de FinaCoop, qui se positionne sur le critère.

Karl Merci beaucoup, en tout cas pour tous ces renseignements, et je repasse la main à Yaël pour la dernière partie de cet épisode.

Yaël Merci beaucoup pour toutes ces précisions, Mathieu, sur le seuil de non lucrativité. Et peut être justement Domitille, vous, sur cette question du seuil de non lucrativité, ce que c'est des questions que vous vous êtes posées en interne ou pas spécialement ? et comment vous y avez répondues ?

Domitille Alors nous, on est en train de se poser la question plutôt. Donc, on est loin du 30% comme du seuil de 72.000€. Mais on se la pose pour deux raisons. Donc, déjà parce qu'on veut augmenter cette part des prestations dans la globalité de notre bilan. Et aussi parce qu'on vend des livres de vocabulaire illustrés, on veut vendre d'autres choses, du matériel. Donc se pose la question de la TVA et de récupérer la TVA. Qui est quand même assez importante, surtout quand on vend avec un intermédiaire. Donc voilà, c'est dans notre questionnement aujourd'hui et on avance doucement. Ça va avec la question de notre modèle économique, de ce qu'on va vendre, pas vendre, de comment on garde bien l'intérêt général quand en première ligne, ou alors on va vers une coopérative plutôt. Pour l'instant, on n'est plus parti sur rester une association.

Yaël Est-ce que tu peux nous donner un exemple un peu précis de cas où vous avez fait de la prestation et de comment vous l'avez vous vécu en tant qu'asso qui répond à une commande ? Parce que, du coup, c'est vraiment ça, que ce soit pour du public ou du privé. Comment vous avez vécu ça par rapport à d'autres modes de financement?

Domitille C'est bien parce que c'était beaucoup plus simple. Non, c'est vrai, en fait la plupart du temps, on vient nous chercher. En tout cas, c'est ici du gré à gré. On connait les personnes avec qui on va faire la prestation. Ce qui est intéressant avec la prestation, c'est que souvent, on a testé les activités qu'on va proposer en prestation, peut-être parce que, par exemple, on a été financé pour les créer dans le cadre de subventions publiques. Et après, on va pouvoir les proposer en prestation. On va pouvoir approfondir ce qu'on a fait. C'est aussi un problème, mais on n'a pas le temps de finir nos projets, ou en tout cas de les répéter, de les approfondir. Et la prestation va nous permettre ça. C'est aussi parce qu'on est en prestation auprès d'associations, de chantiers d'insertion qui sont avec nous pour faire de l'innovation sociale et trouver de nouvelles manières d'accompagner les personnes. Donc, ça aide d'être toujours dans cette création, même dans le cadre de la prestation.

Yaël C'est quand même un peu paradoxal quand on y pense. Ça veut dire qu'il y a les subventions qui vous permettent de vous lancer un peu sur un sujet, mais d'ailleurs pas de vous lancer complètement, parce que c'est rare d'avoir toutes les subventions pour mener à bien le projet. Et après, c'est ce qui vous permet de pouvoir revendre ce sujet-là et, du coup, d'être dans une logique marchande de vos propres services. Ce qui pose la question dont on parlait au tout début qui est le public et de la solvabilité de tes publics. Alors toi, tu dis du coup que c'est sur des associations qui sont aussi des acteurs précaires. Est-ce que cette réflexion, vous avez un peu en interne ou est-ce que vous voyez une évolution de tout simplement de vos publics?

Domitille Alors non, pas d'évolution de notre public. Parce que pour l'instant, ça n'a pas forcément de sens d'aller vendre des choses à des entreprises aujourd'hui. On pourrait faire du team building, mais on serait vraiment très loin de notre objet associatif. En revanche, je pense qu'on pousse énormément les associations à faire de la formation professionnelle. On a l'impression que c'est là où il y a une manne financière. Donc, c'est peut-être plutôt ça, on va nous pousser à faire de la formation professionnelle plutôt.

Yaël Vraiment, j'ai ce sentiment que tu reçois une subvention un peu pour être dans l'innovation. Vraiment de l'innovation sociale. C'est ce que tu disais derrière, mais qu'il faut quand même aller au bout de l'expérimentation et qu'elle soit vraiment utile. Tu dois la vendre et la transformer en prestations variées. Il y a un peu dans les termes, une forme de contradiction, mais peut être que, comme tu disais Mathieu, du moment que t'es pas dans une logique de non-concurrentialité parce que ton objet, en fait d'autres personnes ne le font pas ça, ça ne pose pas problème. Mais c'est un peu contre intuitif, je trouve.

Karl [01:06:03] Voire même ça laisse presque entendre que l'objet de l'asso serait d'être une sorte de boîte non rentable qui aurait pour objectif de devenir une boîte.

Yaël C'est un peu ça, oui. Surtout que personne ne finance ton fonctionnement.

Domitille Et puis ce qui est difficile avec une association, c'est que les gens supposent que tu ne dois pas être cher. Mais l'association, comme il y a le bénévolat qui arrive très vite derrière, la passion, ça ne vaut pas cher et c'est compliqué quand on veut offrir des conditions de travail correctes aux gens aussi.

Karl D'ailleurs, c'est ce que tu disais, Mathieu, sur le fait que pour montrer qu'on n'est pas lucratif, il faut être 30% moins cher que l'entreprise. Alors que 30%, on est très au delà de la marge que peut faire une entreprise.

Mathieu Autant je le vois en interne, ça peut créer de l'autocensure aussi sur les salaires. Toujours l'idée presque qu'on s'auto précarise parce qu'il faut faire bonnes causes. Et parfois, on a même le mot. Dire on n'est pas une entreprise, une asso, etc. Moi, je sais que je n'ai pas peur de dire qu'une asso, dès lors que tu gère un budget et des salariés, tu proposes des services, tu es une entreprise. Certes, tu as du bénévolat, mais avec une gestion aussi rigoureuse qu'une entreprise, y compris sur tes marges, tes prix, etc. Oui, il faut arriver à changer le regard vis-à-vis de l'extérieur. Des fois, ce n'est pas évident, même par rapport aux membres, de dire on présente un budget avec un excédent raisonnable, par exemple. On sait que c'est un principe de saine gestion d'avoir des excédents que tu mets en réserve chaque année, pour palier les années de disette. Financer de l'investissement, du BFR, du développement. Et rien que ça, sortir de la logique budget "excédent zéro à l'équilibre" n'est pas toujours facile et après, vis-à-vis de l'extérieur, ça peut renvoyer une image non entrepreneuriale, pas sérieuse, mais qu'on peut corriger par d'autres moyens, par la communication, par des gens sérieux en face de soi.

Yaël Et Domitille, quand vous faites des prestations, est-ce que ça vous est arrivé d'engager des bénévoles là-dedans ? Ou vraiment vous faites un peu une différenciation, c'est-à-dire les bénévoles travaillent vraiment sur toute la partie non lucrative ?

Domitille Oui, complètement. On essaie vraiment. Ca serait vraiment illogique de faire travailler un bénévole. Ce serait étonnant que ce soit légal ?

Mathieu Alors oui, on a le droit. Cependant, ça peut être un indice, ce qu'on appelle l'effet utile du bénévolat, d'une action qui serait potentiellement lucrative. Même plus que ça, qui serait requalifiable en salariat. Mais ça ne suffit pas. C'est la question qu'on s'est posé pour le supermarché participatif et coopératif. Si ce n'était que ça, il n'y aurait pas de problème. Par exemple, le supermarché participatif coopératif, ça se cumule avec le fait qu'on peut sanctionner aussi un bénévole qui ne viendrait pas faire ses 3 heures ou 4 heures. Donc, si on commence à le cumuler avec soit des directives de contrôle du travail ou des sanctions, là, ça peut être chaud. Mais si en soi, c'est juste un effet utile, ça remplace du salariat, ce n'est pas problématique.

Karl C'est juste de la précarisation.

Yaël En revanche, on a bien le droit - ça repose peut être une question qu'on va approfondir dans un autre épisode - d'avoir des personnes qui sont membres de l'association, qui sont adhérentes, qui, à un moment, vont travailler sur une prestation, mais que du coup, pour cette activité là, tu vas rémunérer, comment en freelance.

Mathieu Ca, ce n'est pas problématique. C'est un faisceau d'indices sur ce qui peut caractériser du salariat, c'est ce que je disais : le contrôle, la sanction, la direction.

Yaël Merci. Petit point qui revient aussi souvent dans nos assos. Peut-être en dernière question ou en question un peu un peu d'ouverture, Domitille, est-ce que ce que vous observez dans votre association, tu penses que ça peut être généralisable à du point de vue du financement et tout simplement de la gestion à d'autres associations?

Domitille Je pense que les associations qui ont les mêmes caractéristiques que nous, oui, c'est généralisable. On court tous après les subventions. On joue tous un numéro d'équilibre et en même temps, on essaie de garder l'objet associatif au cœur de nos projets. Oui. Je ne sais pas comment on pourrait nous définir, catégoriser les associations qui essayent de grandir, qui ont entre un et dix salariés.

Yaël C'est un sujet dont vous parlez avec les financeurs ? Si vous êtes plusieurs et en plus toutes de la même caractéristique, j'imagine que les financeurs doivent avoir l'habitude de ce type d'associations ?

Domitille Alors on a pu en parler, et en fait souvent, surtout quand on s'adresse aux personnels administratifs, ils sont un peu prisonniers des normes, du fonctionnement de la collectivité, du département, de la région. Ils vont vous dire que c'est comme ça et pas autrement. Et je sais que c'est pas des subventions, mais des dons. Mais on en avait discuté avec une fondation privée dont le fondateur était très engagé sur ces sujets de simplification du travail des associations. Moi, je pense que c'est aussi changer la logique de gens qui travaillent depuis longtemps, que ça fait longtemps que ça marche comme ça et c'est un long travail de revenir en arrière.

Mathieu Après, il y a aussi de plus en plus d'aide sur le changement d'échelle, d'aides privées ou publiques. Par exemple, les programmes La France s'engage et French Impact. Toujours la sauce un peu Startup Nation. Mais derrière, ça donne accès à des aides et de l'accompagnement très pointu sur le changement d'échelle, comment je m'outille, je crée des procédures, j'embauche des gens, etc. Donc ça peut être des phases critiques où il y a un besoin fort d'accompagnement. Il y a aussi les dispositifs locaux d'accompagnement pour ces phases clés de mutation. Ça peut être bien de faire appel à ce dispositif, parce que c'est du consultant gratuit. En général, c'est 3 à 10 jours d'accompagnement.

Karl C'est super intéressant ça. Je note l'idée pour ma propre asso. Merci, merci à tous les deux. Merci Domitlle de nous avoir accompagnés et d'avoir répondu à nos questions pour ce premier épisode de Questions d'Asso, le podcast par et pour les assos. Merci Mathieu également de nous avoir éclairé sur cette question du seuil de non lucrativité. Évidemment, merci à vous de nous avoir écoutés. On espère que ce premier épisode vous aura été utile, que vous aurez pris plaisir à l'écouter. Si notre discussion a pu faire écho à des situations que vous avez pu vivre, nous vous invitons chaleureusement à nous le dire en nous envoyant vos témoignages par email à l'adresse hello[at]questions-asso.com, que vous retrouverez dans la description de cet épisode. Et pour rappel, vous pouvez nous suivre sur votre plateforme de podcast préférée : sur Soundcloud, Spotify, Deezer, Apple Music ou Google Podcasts. Vous pouvez également vous abonner à notre newsletter pour ne manquer aucun épisode et vous retrouverez toutes les informations, les liens et les ressources que nous avons évoquées durant notre discussion sur notre site web. Cet épisode a été réalisé avec le soutien de la MAIF, qui finance ce podcast. Aujourd'hui, c'était Guillaume Desjardins de Synchrone.tv qui était à la réalisation et la jolie musique que vous allez maintenant entendre est l'œuvre de Sounds of Nowhere. Merci de nous avoir écoutés. Et rendez-vous le mois prochain pour un nouvel épisode de Questions d'Asso.