► Épisode 1

Devient-on dépendant à la subvention ?

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Ce n’est pas parce qu’une association est à but non lucratif, qu’elle n’a pas besoin de financer ses activités et son fonctionnement. Les ressources propres des associations étant bien souvent limitées, celles-ci se tournent alors vers des aides, des aides publiques, autrement dit : des subventions.

Aujourd’hui, ces subventions prennent une place conséquente dans le modèle économique associatif et on les accuse d’un certain nombre de maux des associations.

Elles seraient coupables d’être utilisées pour orienter l’action associative dans le sens souhaité par le distributeur de la subvention, mais également de nécessiter trop de paperasses, de discussions, de négociations pour des montants toujours plus faibles, voire de créer une dépendance des associations qui en bénéficient et qui ne peuvent plus s’en passer.

Alors devient-on accro, devient-on dépendant à la subvention ?

Pour discuter de ce sujet, nous avons le plaisir d’accueillir l’association Fable Lab, et sa représentante Domitille !

Enregistré le
27 mai 2021
Réalisation par
Guillaume Desjardins, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
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Creative Commons Attribution (2.0)

La question d'expert

Le seuil fiscal de non lucrativié : qu'est-ce que la lucrativité ? Quels sont les seuils ? Que faire si on les dépasse ?

Mathieu Castaings, de la coopérative d'expertise comptable et juridique FinaCoop, spécialisée dans l'ESS et les associations, répond à nos questions.

L'édito

Avant de parler « subvention », faisons un petit détour pour regarder comment se financent les asso et comprendre les dynamiques à l’œuvre.

Cet état des lieux est une synthèse de la dernière édition de l’enquête périodique « Paysage associatif » du Centre d’économie de la Sorbonne (CES). Elle date de 2017-2018, c’est un peu vieux, le paysage associatif évolue très vite, surtout en ce moment avec tout le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Mais comme l’enquête est renouvelée tous les 6 ans, ça donne quand même une idée des grandes évolutions des modes de financement du secteur associatif – attention, ça pique un peu ! – et on se refera un point pour la prochaine édition en 2023-2024 !

Les financements sont pour l’essentiel de 4 types : les cotisations, les dons, les recettes d’activité et les subventions publiques.

Commençons. Un premier type de financement sont les recettes d’activité qui représentent une part majoritaire et croissante du budget des asso (c’était la moitié du budget total des asso en 2005 et on est passé au 2/3 en 2017). Les recettes d’activité peuvent être d’origine publique ou privée, elles regroupent :

  • les commandes publiques (prestations à destination de collectivités publiques) ;
  • les commandes privées (prestations à destination des entreprises) ;
  • la participation des usagers aux services rendus par l’association (les ressources liées à une billetterie ou à la vente de services par exemple).

Ce sont les ressources privées (ventes de services aux usagers ou à des entreprises) qui augmentent dans les plus fortes proportions et représentent +40% du budget total des associations en 2017.

Ensuite, deuxième type de financement : les subventions publiques dont la part dans les budgets associatifs n’arrête pas de diminuer ; alors qu’elles représentaient la moitié des budgets associatifs en 2005, la part des subventions ne représente plus que 20% en 2017. Contrairement aux commandes publiques où les associations doivent réaliser des prestations, des actions formatées par les acteurs publics, les subventions publiques laissent théoriquement plus de liberté aux associations qui sont à l’initiative des actions financées, et peuvent développer des projets, innover, expérimenter de nouvelles actions…

Troisième type de financement : les cotisations qui représentent en moyenne seulement 9% du budget total des asso. La part des cotisations dans les budgets associatifs tend à diminuer dans le temps : pour ne pas entraver les adhésions et l’accès aux services rendus, les associations ont tendance à augmenter la part de leurs ressources provenant des ventes aux usagers et à contenir le poids des cotisations.

Et enfin, quatrième type de financement : les dons et mécénat qui sont une ressource assez limitée des associations. Ils ne représentent en moyenne que 5% des budgets associatifs ; même si ce sont des ressources qui peuvent être particulièrement importantes, voire déterminantes pour les asso humanitaires et militantes – on y reviendra dans un prochain épisode !

Ces équilibres varient selon les secteurs : médico-social ; sport, culture et loisir ; humanitaires et défense des droits ; éducation et formation ; etc. Mais ce qui me semble peut-être plus intéressant ici, c’est que les modes de financement varient également très fortement en fonction de la taille et de l’ancienneté des associations.

La quasi-totalité des subventions publiques vont en réalité aux associations les plus anciennes, qui sont aussi les plus imposantes (on parle ici d’asso qui gèrent des budgets de plus de 500 000€ et les plus employeuses). En 2012, seulement 2% des associations percevaient des subventions annuelles supérieures à 100 000€ et cette concentration s’est accélérée dans les années qui suivent. En 2017, ces très grosses asso ne représentent plus que 1,3% du paysage associatif et concentrent à elles-seules 71% du budget cumulé des asso.

Le corollaire est que les jeunes associations sont exclues du champ des subventions publiques ; elles accèdent très faiblement aux circuits de financements publics et aux subventions publiques.

De même, les petites associations (qui ont un budget annuel inférieur à 10 000€ et qui représentent tout de même 75% des associations) reposent majoritairement sur des financements privés apportés par leurs membres (ventes aux usagers et cotisations) et du bénévolat. Et quand elles perçoivent des subventions, elles correspondent bien souvent (1) soit à des montants symboliques, inférieurs à 200€, (2) soit à des aides en nature des collectivités publiques (installations, locaux, équipements).

Quant aux associations de taille moyenne, ce sont souvent des structures relativement jeunes qui vivent grâce au travail bénévole et à des montages complexes de ressources publiques mais surtout privées dans lesquels la participation des usagers a une part importante. Ces associations disposent rarement, du fait de leur taille, des compétences et moyens nécessaires pour répondre aux appels d’offre ou accéder aux circuits de commandes publiques... Donc c’est surtout dans ces structures que les subventions jouent un rôle essentiel de soutien des dépenses et de fonctionnement, ce qui est paradoxale, puisqu’elles y ont de moins en moins accès.

Le financement du secteur associatif a connu au cours des dernières années d’importantes évolutions, qu’on pourrait résumer ainsi :

  • jusque dans les années 1980, on a eu une augmentation en volume des financements publics sous toutes ses formes ;
  • ensuite on a un essoufflement jusqu’aux années 2000. La poursuite du mouvement de décentralisation contribue mécaniquement à une baisse de la part des financements de l’État et à une augmentation de celle des collectivités locales ; mais les financements publics et privés continuent à alimenter les budgets des asso dans des proportions équivalentes ;
  • puis avec la crise de 2008-2009, c’est la dégringolade, l’accélération du retrait de l’État n’est plus compensée par les financements provenant des collectivités territoriales ; et on observe un triple phénomène :
    • la concentration des subventions sur les très grosses associations dans la mesure où elles participent à des missions de service publique et qu’elles sont très fortement employeuses ;
    • l’explosion de la commande publique qui a triplé de 2005 en 2012 et qui continue à augmenter ;
    • la forte privatisation du financement du secteur.

Ce qu’on constate assez clairement, c’est qu’au plan comptable, on passe d’une situation où l’Etat participait au financement non-lucratif des associations à une situation où le financement de l’Etat est à but lucratif. Non seulement c’est carrément un changement de philosophie, mais en plus ça rend très compliqué le fait d’avoir une lucrativité non significative pour conserver son statut d’intérêt général.

C’est dû pour une partie aux réglementations européennes et nationales qui sont de plus en plus contraignantes. Comme il n’y a pas de définitions légales de la subvention, le risque est croissant pour les acteurs publics de voir les subventions requalifier en commandes publiques par les services fiscaux. Donc ils ont tendance à sur-interpréter le cadre légal pour légitimer l’évolution de leurs modes d’intervention.

Pour une autre partie, ce changement de philosophe est dû à la montée en charge des collectivités territoriales. Les régions et conseils régionaux ont tendance à préférer les financements du type commandes aux subventions : ça permet de formater les actions des asso en fonction des politiques locales, ça leur donne une meilleure visibilité… Pour le dire plus clairement, on assiste en réalité à un processus d’externalisation d’actions initialement produites dans un cadre public vers le secteur associatif (moins cher).

Pour résumer : les associations se retrouvent dans un contexte de raréfaction des ressources publiques, elles se confrontent à un cadre juridique et fiscal de plus en plus contraignant… Alors quels conséquences sur leur fonctionnement ?

Premièrement, le paysage associatif tend à se structurer autour de deux pôles :

  • avec d’un côté une augmentation croissante du nombre des micro-associations qui animent la vie locale et le quartier, mais qui ont un poids économique très limité ;
  • et de l’autre une concentration du poids économique des très grosses associations qui ont absorbé une partie des activités des associations de tailles moyennes et aspirent désormais la quasi-totalité des financements publics.

Les associations de taille intermédiaire continuent de baisser en nombre et en poids du fait de leur exclusion des circuits de financements publics et de la forte baisse des emplois salariés (les deux sont liés), ce qui limite la professionnalisation de leurs actions.

Deuxièmement, la privatisation croissante du financement des asso accroît la dépendance des associations au contexte économique local et amène les associations à « filtrer » leur public.

Dans les territoires « riches » où l’activité économique est importante et le taux de chômage peu élevé, les collectivités locales ont davantage les moyens de soutenir le secteur associatif que dans les territoires « en déclin » (absence d’activité économique, vieillissement de la population) alors même que les associations y auraient un rôle plus important à jouer.

Et avec les gel et annulation des crédits, délais de versement trop long, absence d’avance de paiement, etc. Les financements publics deviennent de plus en plus des facteurs de fragilité et de précarité pour les associations. Paradoxalement, ils sont bien moins stables que les financements privés (cotisations, recettes d’activité). On observe de ce fait un déplacement des projets associatifs vers des publics « solvables », susceptibles de participer financièrement au service qui leur est rendu par l’association (on parle ici des usagers, mais aussi des entreprises – ce qui pose pas mal de questions juridiques, on y reviendra avec Mathieu de FinaCoop !).

Troisièmement, cela a des conséquences sur les actions et projets associatifs développés. La transformation des subventions en commandes publiques a pour effet :

  • d’instrumentaliser les associations en limitant leur rôle à celui d’exécutantes des politiques publiques ;
  • et d’entraver leur capacité d’innovation sociale. Ce qui est assez préoccupant dans la mesure où cela constitue un obstacle au renouvellement de l’action associative, mais aussi au renouvellement des politiques publiques dont les évolutions s’inspirent traditionnellement des innovations du champ associatif.

Ce n’est pas joli joli. Et c’est pour ça qu’on est très heureux d’avoir avec nous Domitille de l’association Fable-Lab pour incarner un peu ce panorama et voir comment ça se traduit dans le quotidien des asso.

Ressources

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