► Épisode 3

Est-ce rentable d'être militant ?

Retrouvez également ce podcast sur votre plateforme favorite :

Vous pouvez aussi consulter l'épisode sous d'autres formats :

Dans notre premier épisode, nous explorions les limites du modèle économique de la subvention sur lequel se basent de nombreuses associations. Les subventions sont certes une source importante de revenus, mais leur finalité est orientée par celui qui l’attribue. L’association subventionnée ne fait pas ce qu’elle veut, en tout cas c’est une crainte.

Mais si les associations cèdent aux sirènes des subventions, c’est bien parce qu’il est difficile de trouver d’autres formes de financement, et notamment qu’il est difficile de susciter la générosité du public et de ne vivre que de dons. Ces derniers représentent d’ailleurs moins de 5% des revenus des associations.

Pourtant, certaines vivent essentiellement de dons. C’est le cas de la Quadrature du Net, association bien connue des défenseurs des libertés individuelles sur l’espace numérique, mais pas que. Comme d’autres associations engagées, pour ne pas subir de pression externe, la “Quadra” n’accepte que les dons individuels. Alors comment font ces associations pour susciter la générosité populaire ? Quelle est leur recette miracle ? Lancent-elles des campagnes de crowdfunding à tout va ? Roulent-elles sur l’or ?

Bref, est-ce rentable d’être militant ?

Pour parler de ce sujet, nous avons donc le plaisir d’accueillir Myriam, de l’association La Quadrature du Net.

Enregistré le
9 septembre 2021
Réalisation par
Guillaume Desjardins, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
Vous pouvez utiliser ce contenu sous licence
Creative Commons Attribution (2.0)

La question d'expert

Intérêt général et utilité publique

Mathieu Castaings, de la coopérative d'expertise comptable et juridique FinaCoop, spécialisée dans l'ESS et les associations, répond à nos questions sur les statuts de l'intérêt général et de l'utilité publique : que recouvrent-ils ? Quelles différences entre les deux ? Comment les obtenir ?

À propos de l'épisode

Après avoir parlé des associations qui vivent de subventions dans notre premier épisode, puis du don de temps (et sa gestion) dans notre second épisode, nous allons aujourd’hui traiter d’un sujet à mi-chemin entre les deux : le don d’argent.

On l’a déjà dit, le monde associatif repose en grande partie sur la valeur du don. Un don de temps, un don en nature : de la nourriture, des vêtements, des appareils dont on ne se sert plus. Mais aussi, et presque surtout pourrait-on dire, un don d’argent.

La question que nous vous proposons de traiter aujourd’hui est celle de ce don d’argent. Quelles sont les associations qui en bénéficient ? Que représentent les dons dans leur budget ? Comment se structurent les campagnes de don ? Sont-elles efficaces ? Peut-on faire tourner son association par ce biais ? Y a-t-il une spécificité des associations vivant de don et qui s’opposeraient aux associations vivant de subventions ?

A l’inverse, qui sont les personnes qui donnent ? Quelle est la sociologie des donateurs ? Autant de questions que nous allons tâcher d’aborder dans cet épisode.

Alors avant de nous lancer et d’accueillir Myriam, de la Quadrature du Net, quelques petits rappels s’imposent sur cette question du don.

Tout d’abord, Yaël, tu nous avais expliqué dans le premier épisode que le don et le mécénat ne représentaient que 5% du budget moyen des associations. De l’autre côté, les recettes d’activité (dont les subventions) composent les 2/3 de ce budget. On peut d’ores et déjà le dire : les associations qui vivent de don sont largement minoritaires, en tout cas en nombre.

Témoignage de mon association, l’association Designers Éthiques que je représente dans ce podcast ne perçoit quasiment pas de don. Cela représente environ 1% de notre budget.

Yaël : Pourtant Designers Éthiques reçoit du mécénat non ? Ce sont des dons ?

Effectivement, Les Designers Éthiques est soutenue en mécénat par plusieurs organisations, selon les années, cela représente 10% à 20% de notre budget. Question : le mécénat est-il du don ? Alors compte-tenu du fait que nous avons un expert de ces questions à notre table, je retourne la question à Mathieu, peut-on dire qu’un mécénat est un don ?

Yaël : et alors si on s’intéresse au montant de ces dons, est-ce qu’on a une idée de ce qu’ils représentent ?

Connaître la valeur moyenne des dons est en réalité assez difficile. Déjà car le plus souvent, les études qui traitent cette question se placent du point de vue du donateur, et interrogent des françaises et des français sur leurs pratiques de dons. Donc on ignore de fait les dons qui pourraient être faits par des personnes morales, plus rares, mais souvent plus conséquents.

Ce que l’on sait, c’est qu’au début des années 2000, le don moyen par français donateur était de 524… francs. Yaël, on a déjà beaucoup dit que le milieu associatif faisait l’objet de peu d’études, on le voit encore ici. Je n’ai pas trouvé de chiffres plus récents même s’il semble qu’il y ait eu une étude similaire en 2010. Pour rappel, pour celles et ceux qui nous écoutent, 524 francs correspondent à environ 75€.

Pourtant, entre le début des années 2000 et aujourd’hui, l’économie du don a largement évolué en France. Une idée de la raison ?

Entre 2003 et 2005, le seuil de défiscalisation du don va être largement augmenté, passant de 50 % de la somme versée défiscalisable, à 66 %. Il était déjà passé en 1996 de 40% à 50%. En l’espace de 10 ans, la défiscalisation du don aux associations a donc connu un bon spectaculaire.

Yaël : Est-ce que cette mesure a eu un effet sur les dons aux associations ?

Avant de répondre à cette question, il faut que l’on s’intéresse à la sociologie du don. Qui donne ? Quel est le profil type d’un donateur ? Il se trouve qu’il existe quelques études à ce propos. Toujours par les mêmes équipes de chercheurs, et je convoque donc aujourd’hui les économistes Lionel Prouteau et François-Charles Wolff pour vous définir que le profil type est déjà celui d’une donatrice – les femmes donnant plus que les hommes. Et une donatrice diplômée – la pratique du don augmente avec le niveau de diplômes, et indirectement de revenus. Il s’agit ici d’une définition à gros traits. Pour plus de finesse, je vous invite à lire leur article que nous citons en description de cet épisode, et qui définit des profils type en fonction des types d’association : sportives, religieuses, ou culturelles. Attention, je parle ici du don monétaire, pas du don matériel qui a lui d’autres logiques.

Alors l’augmentation de la défiscalisation du don a-t-elle eu un effet sur les montants perçus ? Eh bien il semble que pas vraiment non.

Yaël : Oui, puisqu’une bonne partie de la population est exclue du mécanisme de défiscalisation car non-imposable sur le revenu

Exactement. Il semble donc que les dons des donateurs défiscalisables aient légèrement augmenté. Pour reprendre les termes de Prouteau et Wolff, “les donateurs les plus généreux réagissent plus aux réductions d’impôts”. Mais sans que cela ait réellement changé la donne, car si on note bien une augmentation des dons, elle apparaît relativement faible.

Enfin, ce que nous apprennent Prouteau et Wolff, c’est que le don n’est pas un gage d’engagement bénévole au sein de l’association. Seuls 13% des français cumulent les deux contributions quand 14% n’avaient donné que du temps, et 23% que de l’argent.

Et de fait, tout cela nous amène à aborder la question de l'ambiguïté du don, pour reprendre l’expression et le propos de la sociologue Sandrine Chastang. Car si le don semble désintéressé, il sous-entend pourtant bien souvent un retour, un contre-don. Vous payez un verre à un ami lors d’une soirée ? Vous vous attendez à ce qu’il en fasse de même la prochaine fois. Le sociologue Alain Caillé le formalise ainsi : « c’est en mettant l’autre au défi de rendre qu’on le reconnaît comme participant d’une commune humanité ». Et donc pour reprendre Sandrine Chastang : « Le don véritable est donc aussi éloigné du sacrifice qui écrase que de la charité qui méprise, il laisse à l’autre la possibilité de redonner pour affirmer sa dignité et son appartenance à la communauté des humains. »

On le comprend, il s’agit ici d’une analyse liée au don à une personne. Qu’en est-il maintenant lorsque l’on donne à une association ? Quelles conséquences pour cette dernière ? Comment gérer ce don pour une association ? Pour répondre à ces questions, nous recevons donc Myriam, de la Quadrature du Net.

Ressources

  • Lionel Prouteau, François-Charles Wolff. Adhésions et dons aux associations: permanence et évolutions entre 2002 et 2010. 2012. hal-00694438
  • Prouteau, L. & Wolff, F. (2005). Les dépenses publiques évincent-elles les contributions volontaires aux associations ?. Revue économique, 56, 679-690. https://doi.org/10.3917/reco.563.0679
  • Fack Gabrielle, Landais Camille. Les incitations fiscales aux dons sont-elles efficaces ?. In: Economie et statistique, n°427-428, 2009. pp. 101-121, http://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2009_num_427_1_8055
  • Chastang, S. (2008). Toutes les manières de rater un don humanitaire [*]. Revue du MAUSS, 31, 318-347. https://doi.org/10.3917/rdm.031.0318
  • Avec Myriam, nous évoquions les noms de quelques fondations, et notamment la Fondation pour le Progrès de l'Homme, l'Open Society Foundation et le Digital Freedom Fund
Vignette de l'épisode
:: / ::
Cliquez pour écouter