► Épisode 25

Comment intégrer la recherche à son projet associatif ?

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On l’entend dans les médias, la recherche académique est de plus en plus privatisée en France. Ainsi, 60% des chercheurs sont aujourd’hui salariés d’une entreprise privée. Alors bien sûr, quand on dit “entreprise privée”, on pense en premier lieu aux groupes du CAC40, mais il existe également des pratiques de recherche dans les associations, dont on rappelle qu’elles entrent dans le champ du secteur privé. Alors à quoi peuvent bien ressembler les pratiques de recherche du secteur associatif ? S’agit-il de faire de la recherche sur le fait associatif ? S’agit-il d’innovation dans les champs d’action des associations ? Ou peut-on aller jusqu’à parler de recherche académique, de recherche fondamentale dans certains secteurs associatifs ?

Aujourd'hui, nous explorons ces questions avec l'association Fréquence Ecoles, et ses représentantes Dorie et Pauline.

Enregistré le
5 mars 2025
Réalisation par
Guillaume Desjardins, synchrone.tv
Sur une musique de
Sounds of Nowhere - “It Goes On...”
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Creative Commons Attribution (2.0)

L'édito de Karl

Aujourd’hui nous allons parler de la façon dont la recherche peut s’opérer dans le secteur associatif. Dans notre imaginaire collectif, nous nous projetons dans une recherche académique publique, allègrement renforcée par tout un pan de notre culture populaire qui nous raconte l’histoire de scientifiques travaillant pour l’intérêt général face au désastre du monde, citons le film Don’t Look Up qui illustre bien ce phénomène. Pourtant, comme tu le mentionnais en introduction Yaël, la recherche privée représente aujourd’hui 60% des postes en recherche en France, selon des statistiques de Campus France. Si l’on regarde les personnes exerçant une profession de recherche en France, sur les 267.000 directeurs de recherche, professeurs, maîtres de conférences, chargés de recherche ou chercheurs, 60% sont salariés d’une structure privée. C’est d’ailleurs mon cas, à la fois comme enseignant-chercheur salarié d’une école privée - qui est elle-même une association, un jour on fera un épisode sur l’enseignement supérieur associatif - et comme membre d’une association de recherche-action (Designers Éthiques, à laquelle on a consacré un épisode il y a peu de temps) pour laquelle je publie également.

Alors avant d’en arriver à la question centrale de cet épisode “comment peut-on opérer cette recherche dans le secteur associatif ?”, j’aimerais prendre un peu de temps pour revenir sur l’intérêt pour une association de développer une pratique de recherche. Pourquoi faire de la recherche dans une association ?

Pour répondre à cette question, il faut déjà que l’on se mette d’accord sur ce qu’est faire de la recherche ? Pour le dire simplement, faire de la recherche, c’est produire des connaissances inédites, les soumettre à la critique du monde académique, et les publier librement et sans restriction. La recherche est donc à différencier ici de l’innovation, qui correspond à l’amélioration de l’existant. Au sein du monde de la recherche ensuite, nous distinguons plusieurs pratiques. La plus connue du grand public est ce que l’on appelle la recherche fondamentale, c’est-à-dire la production de connaissances expérimentales ou théoriques, et qui concerne avant tout des phénomènes macro. Vient ensuite ce que l’on qualifie de recherche appliquée, c’est-à-dire soit l’application pratique des connaissances théoriques pour les valider ou les invalider, soit la production de connaissance à partir d’une démarche inductive, c’est-à-dire en partant d’un terrain spécifique. Cette pratique est la plus courante dans le monde de la recherche privée. Mais dans le monde associatif, on trouve également régulièrement deux autres formes de recherche : la recherche-action, la recherche-création.

La première, la recherche-action, est une pratique de recherche qui vise la mise en œuvre de pratiques transformatrices sur le terrain à partir des résultats de la recherche. Pour le dire de façon simple, c’est intégrer l’expérimentation de solutions aux problèmes identifiés directement dans le projet de recherche. On perçoit déjà à travers cette définition à quel point le potentiel de la recherche-action dans le secteur associatif est fort.

La seconde, la recherche-création, est une pratique qui vise à mutualiser recherche académique et pratiques artistiques. Ici, il s’agit le plus souvent de sortir du cadre classique des rendus de la recherche académique (des thèses, des articles et des colloques) pour expérimenter d’autres formes de partage de la connaissance académique, permettant à cette dernière d’être aussi plus inclusive pour celles et ceux qui ne sont pas issus du monde de la recherche et à qui l’expérience d’un colloque de chercheurs peut paraître un peu déstabilisante.

Et puis enfin, il y a la recherche participative, ici qui va se différencier par le fait d'inclure les citoyens, ou en tout cas celles et ceux qui vont être concernés par le projet de recherche, directement dans ce projet de recherche et de co-mener la recherche avec les chercheurs. Et là encore, c'est une pratique de recherche qu'on va trouver très fréquemment dans le monde des associations.

Alors on pourrait citer encore d’autres pratiques de recherche, comme la recherche-projet, mais je vais m’arrêter là car l’objectif de ce petit édito n’est pas d’en faire une liste à la prévert, mais de répondre à cette question : en quoi c’est intéressant de faire de la recherche pour une association ?

Je pense que l’on peut mobiliser trois arguments à cette question : un argument quant à la meilleure compréhension des enjeux et de la raison d’être de son association ; un argument quant à la démarche d’intérêt général des associations ; et un argument quant aux finances des associations, et oui on ne se refait pas.

Le premier est à mon sens le plus important : quand on se lance dans un projet associatif, qu’il s’agisse d’un projet militant ou pas, on est rarement complètement expert du sujet, et même si on l’est, ce sujet sera amené à évoluer au fur et à mesure de la vie de l’asso (je vous renvoie à l’épisode qu’on a fait avec Fable-lab sur ce sujet là il y a quelques semaines). Produire de la recherche sur les sujets de son association, c’est donc un très bon moyen de rester à la page, voire de rester “en avance de phase”, une expression que j’ai en horreur mais qu’on utilise beaucoup dans certains milieux. C’est précisément la raison pour laquelle nous faisons de la recherche dans ma propre association : nous cherchons à faire advenir un numérique émancipateur, durable et désirable, mais concrètement, ça serait quoi un numérique qui corresponde à ces valeurs ? Pour le définir, nous nous inscrivons dans des projets de recherche qui alimentent nos réflexions et outillent nos actions associatives.

Le second relève de l’intérêt général de secteur associatif : à l’heure où la recherche publique n’est plus nécessairement un refuge pour l’indépendance académique (suivez mon regard outre-atlantique), le secteur associatif a la capacité d’en être une alternative, actant les défaillances des Etats de ce point de vue là, mais sans nécessairement s’inscrire dans les pratiques de recherche privée capitalistique qui sont parfois contestables. Pour le dire autrement, le secteur associatif a toute légitimité dans la production de connaissances pour le bien commun.

Enfin, il y a l’argument économique. Alors ne nous voilà pas la face, le monde de la recherche n’est pas un univers de richesse (sinon on observerait pas de fuite des jeunes chercheurs français). Mais dans un écosystème associatif où les injonctions à l’autonomie budgétaire et à la diversification des sources de revenu sont fortes, le secteur de la recherche offre certaines possibilités intéressantes. Ainsi, de plus en plus de programmes de recherche publique (souvent portés par l’Agence Nationale de la Recherche) demandent à ce que des acteurs de la société soient intégrés aux projets. Ce sont ce que l’on appelle les projets de sciences et société. Ici, les associations y sont très largement bienvenues. Autre exemple, si votre association est fiscalisée, vous pouvez demander comme d’autres entreprises du Crédit d’Impôt Recherche, et défiscalisez les coûts salariés de vos doctorants.

Voilà. Tout ça pour dire que la recherche a toute sa place dans le secteur associatif, et sous de multiples formes. Mais reste maintenant à savoir comment initier ces pratiques et ces projets qui peuvent paraître lointains voire exotiques à des responsables associatifs peu familiers de ce domaine. Alors c’est ce qu’on fait parfois dans ce podcast, puisque de nombreuses associations que nous avons reçus à ce micro s’inscrivent dans des projets de recherche, en le verbalisant plus ou moins, mais on souhaitait aller plus loin sur ce sujet et recevoir une association qui est allée jusqu’à salarier une chercheuse à temps plein, pour discuter de la façon dont ça s’est construit et dont ça se passe. Et c’est pour ça qu’on est très heureux d’accueillir Dorie et Pauline de Fréquence Ecoles à ce micro.

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